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La Cendre et la Braise de Ramius



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Informations

» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 03/08/2019 à 09:35
» Dernière mise à jour le 17/08/2019 à 10:42

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Amitié   Mythologie   Présence d'armes   Suspense

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Chapitre 17 : L'Étoile qui vole
ξ

On dit qu’autrefois, il fit si froid que plus aucun vent ne parvenait à agiter les feuilles des arbres. Le guérisseur aime raconter cette légende-là, quand nous nous rassemblons autour du feu, le soir. Je ne compte plus les fois où il a été écouté par nos dizaines d’yeux émerveillés… Mais désormais, il l’évite.

L’autre jour, il a même dit à demi-mot qu’il avait peut-être coutume de l’exagérer un peu. Il n’avait jamais avoué cela auparavant… Il ne voudrait pas que nous désespérions, sans doute.

C’est vrai qu’elle était incroyable, cette légende-là. Une histoire de volcans en furie, calmés par un être descendu du ciel alors qu’ils essayaient d’en empêcher un autre de plonger le monde dans la glace ; ça ne peut pas être entièrement inventé, quelque chose d’aussi formidable ! Mais aujourd’hui, la cendre du volcan a recouvert le ciel. Un matin, le soleil s’est levé au travers d’un voile de fumée noire…

Ce doit être horrible, de voir une histoire que l’on raconte depuis des années devenir réalité. Quand il a vu la pâleur du jour, ça lui fait un sacré choc… Lui qui adore dire que les légendes contiennent des vérités précieuses !

Ces vérités qui suivent le voile de cendre, on voudrait tous qu’elles n’en soient pas, qu’elles ne soient que des mensonges, exagérées… Mais le temps se refroidit. La saison froide vient beaucoup plus vite cette année que toutes les précédentes, et le guérisseur se sent mal parce qu’il a dit ce qui arriverait sans le vouloir…

Enfin, il est sage, et il s’est vite repris en main. Lui et le chef du village ont rapidement imaginé des façons de s’en sortir. Nous avons commencé à transformer toutes nos réserves de laine en vêtements, les plus chauds possibles ; mais pour pouvoir continuer à les tondre, nous avons aussi dû en faire pour les Moumoutons du troupeau. Alors les bergers du village essaient de les pousser à Évoluer, pour qu’eux aussi aient moins froid mais donnent quand même plus de laine.

Mais c’est si compliqué… Avec le froid qui se fait de plus en plus intense, les Moumoutons se sont entassés, et évitent de faire trop d’efforts. Nous avons désormais une montagne blanche à l’entrée du village… Elle tremble souvent, parce que les Moumoutons se déplacent dans le tas pour que ce ne soient pas toujours les mêmes qui aient froid.

Parfois, quand je repense à tout ce qui se passe, à tout ce qui s’est mis à troubler notre vie et nos habitudes, je me demande si tout ça est réel. Si ce n’est pas un rêve, si ça peut exister. Et je me laisse rêvasser, imaginer ce qui aurait pu être à la place de cet hiver. Est-ce que c’est une chance que la monotonie soit troublée, quand c’est si brutal et qu’il fait si froid ? Est-ce que c’est bien ou mal d’être confronté à une épreuve, et de devoir se dépasser ?

Ilia ! Tu es encore en train de rêvasser, hein ?

— Ah ! Euh…

— Allez, ce n’est rien. Ça m’arrive aussi, tu sais ?

— Vraiment ? Mais Dalion, tu as toujours l’air si sérieux, si concentré…

— Eh bien, je le suis souvent. Mais tu sais, je ne pourrais pas en faire autant si je ne rêvais pas de temps en temps, moi aussi…

— À quoi tu rêves, Dalion ?

— Oh. Parfois, au monde. J’imagine ce qu’il est, au loin. Et d’autres fois, je rêve à nous. Ce que notre village sera d’ici un mois, un an, un siècle…

— Mais, est-ce que ce n’est pas… iperons… irressonpale… Aaah !

— Irresponsable ?

Il a détaché soigneusement les syllabes pour que je saisisse le mot… Il y en a qui sont vraiment compliqués !

Oui, irresponsable. Est-ce que ce n’est pas irresponsable de ne pas travailler quand il y a autant à faire ? Je veux dire… Ce n’est vraiment pas le moment de laisser le village sans aide !

— Mais au contraire, c’est exactement le moment de rêver. Il faut rêver parce que nous avons besoin d’espoir, et nous pouvons rêver car le froid nous rappellera à l’ordre quand nous commencerons à nous éterniser !

— C’est vrai que je commence à avoir froid…

— Alors j’ai un travail pour toi. Tu sais qu’Oryx m’a demandé de faire mes meilleurs breuvages pour nos Moumoutons ? J’en connais un qui pourrait les aider à Évoluer… Mais il me manque des racines de belladone.

— Compris ! Je t’en trouverai !

— Je pensais bien que je pouvais compter sur toi.

Je me lève du caillou où j’étais assise, et je pars en courant vers la forêt toute proche. Histoire de me réchauffer un peu, je n’hésite pas à sautiller entre les plaques de verglas qui couvrent le sol, bien qu’elles soient peu visibles dans la faible lumière.

Ne te blesse pas, non plus !

Vraiment, j’aime bien notre guérisseur. Il pense toujours à tout, il sait toujours ce qui ne va pas… On en a de la chance de l’avoir !

Mais après, c’est vrai aussi qu’il n’a pas réponse à tout. Il trouve toujours la solution aux problèmes des adultes, mais pour les problèmes des enfants, il est aussi démuni que tous les adultes. Pourquoi est-ce que personne ne s’intéresse à savoir qui a mangé la dernière goutte de miel du pot, ou à l’existence d’un Bien et d’un Mal universels ? Ces questions-là, il n’y a que Dalion pour y répondre. Il tire un conte de son répertoire sans fin, et même si c’est fascinant, on n’a jamais la réponse et toujours plus de questions.

Les bois entourent le village sur la moitié de son contour. Au-delà, il y a des montagnes qui sont parfois couronnées de brume en automne, et c’est très joli. Sur l’autre moitié, il y a une grande plaine, et à l’autre bout, encore des montagnes. Du coup, on vit en montagne alors que le village est plutôt sur la plaine.

Euh… Est-ce que les montagnes sont au septentrion ou au méridion, déjà ? Je ne me rappelle jamais… Je sais que le soleil se lève à l’orient et se couche à l’occident, mais impossible de les distinguer : il y a la plaine et des montagnes du côté de l’un, et de l’autre côté, il y a des montagnes et la plaine.

D’ailleurs ce n’est même pas vrai, parce que ce matin, le soleil s’est levé du côté des montagnes. Il faut dire que depuis que les cendres nous le cachent, il se comporte très étrangement…

À force de zigzaguer dans le village, je suis arrivée dans la forêt. D’après Dalion, il ne faut pas y rester trop longtemps parce qu’il y fait encore un peu plus froid que dans le village, mais de toute façon, il fait si froid partout qu’on ne sent pas vraiment la différence. Et mon manteau épais a bien conservé la chaleur de ma course, alors je ne crains pas vraiment le gel…

Mais le guérisseur n’aimerait pas que je m’éternise trop. Même si tous les vêtements que je porte sont aussi rembourrés qu’un Moumouton entier, l’hiver est féroce et les engelures menacent les gens qui s’éloignent loin des feux. Enfin, pour le moment, ils sont éteints car il faut économiser le bois, et la chaleur dégagée par le soleil permet encore de tenir le coup même dans les bois. Mais la nuit, les feux allumés dans la maison commune où nous devons tous dormir depuis l’arrivée du voile de cendres éclairent le village plus que ne le fait le soleil.

Je commence à fouinarer un peu partout, à la recherche de belladone. En été, c’est une plante très reconnaissable grâce à ses fleurs et à ses fruits ; ça tombe bien, elle est toxique. Mais on n’est pas en été… Le gel qui recouvre tout rend plus compliqué de reconnaître une plante.

Je déterre donc souvent plusieurs morceaux de racines avant de m’apercevoir que le buisson qui a attiré mon regard n’est pas de la belladone. Mais je finis quand même par en trouver !

Comme je ne sais pas du tout quelle quantité il en faut à Dalion, je reste dans la forêt un bon moment. Le soleil a parcouru un quart du ciel depuis que j’y suis entrée. J’ai l’impression que les journées et les nuits sont plus courtes depuis que le soleil a pâli… C’est peut-être lié ?

En revenant au village, je commence par chercher Dalion dans son antre, où il prépare toutes ses mixtures aux vertus étranges. Mais il n’y est pas, alors je referme le porte de la maison en douceur. Dalion n’aime pas trop qu’on y entre en son absence, parce qu’il y stocke des produits dangereux.

S’il n’est pas chez lui, il sera probablement en train de discuter avec Oryx. Je me dirige donc vers la maison du chef du village ; il y a des chances pour qu’il soit plutôt en train de tricoter dans la maison commune, mais j’aime bien l’aspect de sa maison et je ne manque jamais de prétextes pour passer devant. Elle est construite un peu plus en hauteur que les autres, avec des gravures le long de la porte. Et puis il y a cette tête sculptée au-dessous du toit, dont personne ne sait vraiment ce qu’elle représente.

Cette fois-ci, la chance me sourit : en entrebâillant la porte et en y glissant la tête pour jeter un œil, je vois Oryx et Dalion assis devant un rouleau de parchemin, en train de savourer une infusion d’herbes sauvages. Je me faufile donc complètement dans la maison, et je referme la porte derrière moi.

Ah, Ilia ! Tu en rapportes beaucoup, dis donc. Je savais bien que je pouvais compter sur toi !

Oryx se tourne vers moi, sa tasse toujours à la main.

Ilia. Dalion te fait encore travailler dans la forêt ?

— Elle est assez grande pour savoir quand il faut rentrer, et presque aussi habile que moi quand il faut trouver des plantes.

— Tu peux me rappeler pourquoi ce n’est pas toi qui y es allé, alors ?

— Parce que j’avais un inventaire à faire, Oryx. Et je te signale que c’est toi qui as débarqué dans ma maison en me proposant de venir discuter du temps autour d’une tasse.

— C’est vrai. Dis-moi, pour quand penses-tu prendre Ilia comme apprentie ?

— On ne peut vraiment rien te cacher, hein ?

Oryx ne répond que par un petit sourire satisfait. C’est l’adulte qui pose le plus de questions de tout le village, il en pose tout le temps… Quant à moi, bien sûr, je suis très très contente à l’idée de devenir l’apprentie de Dalion, mais est-ce que c’est vraiment son projet ? Je dois avoir un peu trop écarquillé les yeux, parce que quand il se retourne vers moi, il sourit à son tour.

Bon, d’accord, j’y réfléchissais sérieusement. Elle est encore un peu jeune, mais elle se débrouille bien.

— Gagné !

Parfois aussi, Oryx dit des choses qui n’ont pas de sens. Qu’est-ce qu’il peut bien avoir gagné, là ? C’est Dalion qui m’apporte la réponse.

Quoi, encore ce jeu idiot !

— Eh oui.

Poussée par la curiosité, j’ose enfin prendre la parole.

Qu’est-ce que c’est, ce jeu ?

— Ça consiste à amener quelqu’un à se contredire. En l’occurrence, Oryx a réussi à me faire dire dans la même conversation que tu étais assez grande et trop petite. Il joue en permanence à ce genre de jeux, n’est-ce pas ?

— Mon prochain défi, répond simplement le concerné, est de faire prononcer les routes de montagne ont tendance à virer, revirer et dériver à quelqu’un.

— Qu’est-ce que je disais !

Je crois bien que j’ai un peu fait dériver la conversation… Je n’ai aucune idée de ce dont ils parlaient avant mon arrivée, mais ça devrait être important. J’imagine que ça serait responsable de m’en aller pour qu’ils retournent à leurs affaires importantes, non ?

Bon… Du coup, Dalion, je peux les poser simplement chez toi ?

— Oui, pas de problème.

— Jeune fille, j’aurais une autre idée. Si tu restais plutôt ici ? Nous parlions du soleil avant ton arrivée ; mais tu es sûrement assez grande pour suivre la conversation, et ça ne pourra pas te faire de mal de t’instruire, n’est-ce pas ?

— D’accord !

Et au diable la responbassilité ! Euh, non. La res-pon-sa-bi-li-té. Enfin, je suis contente de pouvoir rester. Le chef et le guérisseur sont les gens les plus sages du village, je vais sûrement apprendre beaucoup de choses !

Bien, ou en étions-nous ?

— Tu disais, Oryx, que tu n’étais pas sûr que l’affaiblissement du soleil soit dû à des volcans.

— Oui, voilà. Merci. Je soutiens cette idée, parce que les journées ont changé. Le soleil ne se lève plus toujours du même côté, ne se couche plus toujours au même endroit… Sa trajectoire au-dessus de nos têtes est devenue nerveuse, imprévisible. Il lui arrive de nous éclairer pendant vingt ou cinq clepsydres. Bien plus et bien moins que lorsque les journées étaient régulières.

Je ne m’étais donc pas trompée sur ce point !

C’est vrai, et je reconnais bien volontiers que cela n’a jamais dû arriver. Tout, dans la nature, est orienté de l’orient vers l’occident. Et pourtant, je continue de penser que des volcans pourraient être responsables. Peut-être le soleil vole-t-il au milieu de leur cendre, et qu’elle le ralentit ?

— Alors pourquoi les nuages, qui peuvent assombrir le jour autant que la cendre le fait, ne perturbent-ils absolument pas le cours du soleil ?

— La pluie vient des nuages, et quand il a fini de pleuvoir, les nuages ont maigri ; je pense donc qu’ils sont composés d’eau. Et l’eau s’évapore au soleil. La cendre, au contraire, vient du feu et de la chaleur ; le soleil a-t-il une prise sur elle ? Aucun nuage n’a jamais couvert le soleil si longtemps ; peut-être qu’il les dissipe, et qu’il est incapable de dissiper les cendres ?

— Ce serait logique. Mais tout ne l’est pas, dans ton idée, Dalion : pourquoi ne pleut-il pas de cendres ? Lorsqu’une éruption répand des cendres dans l’air, leur légèreté ne les empêche pas de tomber un jour ou l’autre. Nous n’avons encore eu aucune chute de cendres.

— Mes histoires sont les premières à dire cela, mais je ne sais pas jusqu’à quel point elles sont fiables.

— Eh bien, jusqu’à un certain point. La question est plutôt de savoir si le monde est fiable à l’interprétation qu’on s’en fait.

— Tu n’affirmes tout de même pas que le monde est censé obéir à… à sa définition, au langage dans lequel il est décrit ?

— Pourquoi pas ? Peut-être pas notre langage ; mais pourquoi ne serions-nous pas nous-mêmes une histoire ? Les personnages des tes contes savent-ils qu’ils n’existent pas ? Et s’il ne le savent pas, si tout pour eux est réel, pourquoi n’existeraient-ils pas ?

— Oryx, tu es un chef efficace, mais parfois, tu pars vraiment très loin dans tes raisonnements tordus. Je ne dis pas que ce n’est pas intéressant ; à vrai dire, il m’est arrivé de construire une histoire en me basant sur ce style de questions. Mais je ne sais pas si c’est opportun de soulever de telles questions, aussi vite. Tu vas parfois trop vite, et je ne serais pas surpris qu’Ilia ait perdu le fil.

— Euh… Un peu…

Mais histoire de faire tourner le guérisseur en bourrique, j’ajoute :

Par contre, je me demandais. Est-ce qu’il y a un méchant dans ces histoires ?

Ce qui me vaut un grand éclat de rire de la part du chef, pendant que Dalion prend sa tête dans ses mains.

Hahaha, tu as de la suite dans les idées, toi ! Bien… je pense que nous devrions nous arrêter là, en effet. C’était déjà un peu inutile d’essayer de comprendre l’obscurité ambiante, mais maintenant… Je ne vous retiendrais pas plus longtemps !

Et c’est sur ça qu’on est sorti de la maison du chef. Dalion me demande la belladone, et j’en profite pour me retourner (encore) vers la façade.

Bon. Merci pour ton aide, Ilia !

— De rien !

Il retourne vers son antre. Quant à moi, je me dirige vers la maison commune. Le soleil se rapproche de l’horizon, mais il reste encore un peu de temps avant la nuit. Je vais pouvoir regarder les fileuses un moment.

En entrant, je suis frappée de plein fouet par l’odeur de laine. De jour, la maison commune sert de refuge aux tricoteurs. Nous avons beaucoup de laine, mais ça prend du temps d’en faire des vêtements, alors une bonne partie du village y travaille.

Et de dix !

La Doyenne du village a hurlé ces mots triomphalement. Malgré son âge avancé, elle est toujours aussi contente de finir une pièce, quelle qu’elle soit. Et encore plus quand elle bat un record personnel !

Un peu plus loin sur ma gauche, j’aperçois mon père lever les yeux au plafond. C’est vrai que la Doyenne tape parfois sur les nerfs de tout le monde… Ce n’est pas donné à tout le monde, d’avoir une cadence pareille avec des aiguilles en main !

Bientôt, ce sera la nuit et nous aurons terminé une autre de ces journées devenues si étranges depuis que le soleil a été recouvert de cendres. Des journées froides, à la lumière méconnaissable, et qui demandent plus de travail que pendant un hiver normal… Mais ce sont tout de même des journées, et on est heureux d’en avoir vécu une de plus.

Alors, le soir, on ne pense pas à la nuit glaciale qui arrive. Elle annonce des journées toujours plus rudes, des travaux toujours plus nombreux ; mais aussi toujours plus de vie dans le village, malgré le froid impitoyable.

On n’a jamais vu une saison pareille… Mais en s’organisant, on y survit.