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Echos Infinis de Icej



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Informations

» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 10/12/2016 à 09:32
» Dernière mise à jour le 15/01/2019 à 20:44

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 32 : Trop tard.
Ndlr : s’il-vous-plaît, écoutez la musique « My World » là où j’ai mis le lien… cela fait depuis… allez, peut-être noël 2015, vers l’épisode 20 environ (je crois) que je m’imagine cette scène avec cette musique spécifiquement. 12 épisodes. Près de deux ans. Que de chemin parcouru.

Sinon, j’ai relu tous les commentaires que des lecteurs m’avaient faits, sur ce site ou d’autres : Physalis l’analyste, Shaam qui a été un de mes premiers commentateurs, Red7 qui m’avait énormément touché, Plush, et d’autres aussi :) merci de m’encourager depuis tout ce temps, de laisser un petit mot sur mon style, les passages qui vous font plaisir, les personnages attachiants comme Élin ou Mélis… Rien qu’un seul commentaire me motive pour écrire vite, encore, un nouveau chapitre. Un MP, une recommandation de ma fanfic à d’autres, me vont droit au cœur. On dit que les auteur.es écrivent pour eux-mêmes, mais croyez-moi, nous écrivons au moins autant pour vous, pour que vous lisiez, réagissiez.

Sur ce, cet épisode clôture la saison 2 : espionnage. Après lui, un grand final en trois parties. Ici se termine le voyage initiatique, nos héros n’auront plus jamais le loisir de parcourir Unys, insouciants.


(Enfin. Enfin…)
Un vent froid balayait les docs, meurtrissant les familles et amis qui patientaient au bord de mer, foule colorée. Un grand ciel gris menaçait Port Yoneuve d’un orage, grondant parfois avant de ravaler son ire. Certains lançaient des regards inquiets vers le ciel, comme Mélis, qui jurait à l’idée de se faire tremper avant d’arriver au Centre Pokémon.

Mais il devait surveiller quatre mômes, et ces quatre mômes attendaient Oscar et une dénommée Shazaa. Six gosses. Six foutus gosses à surveiller. Avec une Élin dans le tas. Rien que de s’imaginer courant partout après les adolescents lui filait la migraine—et lui donnait envie d’en finir une fois pour toute avec les démons, par exemple en les poussant à la mer avant que le bateau n’arrive. Seul point noir de sa machination machiavélique : il devrait mentir à Oscar et Shazaa au sujet de leurs amis avant de trouver un autre moyen d’assassiner les deux plaies restantes. Mauvais plan.

Mélis soupira, puis sursauta quand le ciel se fendit d’un nouveau crépitement, se cognant contre Leafer, qui avait une peur bleue des orages. L’adulte lança un regard noir au dresseur de Spinda, qui s’en retourna à fixer ses chaussures.

Le nouveau s’était bien préparé pour son voyage initiatique, et portait à présent l’un des épais gilets qu’il avait sélectionné pour combattre le froid. Une vieille femme de son village le lui avait tricoté à partir d’une rare laine violette car elle le trouvait « adorable ». Malheureusement, elle avait surestimé les effets de sa croissance, et même trois ans après le cadeau, le gilet était toujours bien trop grand pour lui, les manches tombant de plusieurs centimètres, et le reste lui arrivant aux genoux… Leafer avait l’air assez ridicule.

Élin et Elsa n’avaient d’ailleurs cessé de se moquer de lui depuis qu’il l’avait enfilé, chacune à sa manière… Élin le raillait ouvertement et Elsa glissait des sous-entendus dévastateurs sur son identité sexuelle, lui ayant offert des collants noirs pour aller avec sa « robe ». Quant à Syd, il n’avait même pas réagi d’un sourire satisfait, ce qui étonnait Leafer.

Le dresseur de Roitiflam était plongé dans un silence aussi menaçant que l’orage, alternant des soupirs maussades et des gestes nerveux, soupirant puis serrant les poings, la mâchoire. Il avait cassé Élin après une de ses blagues tôt dans la matinée, et la blonde l’avait déclaré infréquentable pour la journée, décidant de l’ignorer. Elsa était restée silencieuse, ne lui dardait que des œillades inquiètes.

Désormais, seules les deux filles discutaient, se remémorant les débuts de leur voyage. Leurs éclats de rires brisaient parfois l’ambiance lourde, mais le reste du temps, elles parlaient à voix basses, haussant à peine le ton quand elles étaient en désaccord sur un point.

Leafer aurait bien aimé les écouter, participer à la conversation, jaloux de leur lien, des souvenirs dont Syd faisait partie sans même faire d’effort pour les honorer.

Après un quart d’heure d’attente, la silhouette élancée d’une embarcation, rouge, fendit l’horizon gris. Le navire de taille moyenne se rapprocha peu à peu, et l’excitation de la foule enfla, les conversations s’animant en accord. Leafer se fit bousculer par deux petites filles enthousiastes, criant « Papa ! Papa ! » tandis qu’elles s’élançaient vers l’avant des docks. Mélis même sortir de sa torpeur, ses yeux scrutant la mer sombre avec espoir.

Sans doute pensait-il que plus vite Oscar arriverait, plus vite il pourrait aller dormir.

Un quart d’heure de plus s’écoula, pendant lequel Élin et Elsa s’arrangèrent pour les amener vers le devant de la foule, jouant des coudes parmi les anoraks criards pour avoir une meilleure vue du bateau.

L’embarcation se mit à quai après de nombreux sifflements et cris du personnel, s’amarrant facilement le long du béton malgré la houle. Et comme s’il désapprouvait, le ciel chuinta en réponse, semblant presque lancer l’attaque Grincement sur les humains impatients. L’atmosphère s’obscurcit.

Leafer se mit sur la pointe des pieds pour mieux voir les voyageurs, mais il était trop petit et ne réussit qu’à scruter les nuques des inconnus pressés contre lui. Elsa, la plus grande du groupe à part Mélis, se dressa aussi, mais ne parvint pas à remarquer Oscar parmi les passagers qui descendaient les escaliers pour rejoindre leur famille, leurs amis, lourdes valises à la traîne. Le dresseur devait se trouver parmi les derniers du bateau.

Au fil des minutes, la foule s’éclaircit, et bientôt il ne resta plus qu’eux et quelques autres grappes de personnes. Une bourrasque glacée failli arracher la casquette de Mélis, qui lâcha quelque chose de malpoli et œilla le ciel avec colère. Leafer se retint de rire, intimidé.

Finalement ce fut Syd qui remarqua Oscar en premier, comme en écho de leur rupture à la fontaine de Volucité.

— Là. marmonna-t-il, comme si les cinq semaines ne s’étaient jamais écoulées.

Le groupe distingua deux grandes silhouettes, celle d’une jeune femme habillée de noir, et celle de leur ami. Il avait…

Élin ne prit pas le temps de détailler Oscar. Elle poussa un cri de joie et fit un pas, puis deux, avant de s’élancer vers le dresseur, franchissant la vingtaine de mètres qui les séparait un éclair. Il ouvrit les bras pour l’accueillir juste à temps, et la force de son impact, sa masse chaude, l’emporta sur le côté jusqu’à les faire tournoyer vers le bord du dock, la mer noire et agitée.

Ils s’immobilisèrent juste à temps, à un cil de la fin de la jetée. Oscar contempla son ami, ému, son souffle mourant contre son cœur palpitant. Elle ouvrit lentement les yeux, levant ses prunelles noires de sa poitrine à ses iris verts, remarquant la pâleur de sa peau, et puis surtout ses cheveux coupés, très courts. Hésitante, elle extirpa une main de son embrassade confiante et passa une main dans les épis châtains.

— En fait… souffla-t-elle avec un petit sourire. Ça te va bien.
— Oui, je vais pouvoir draguer plein de filles comme ça… blagua-t-il faiblement, ses pensées s’égarant.
— Tu m’as manqué, dit-elle, le serrant presque trop fort puis le relâchant. Ne sachant que dire.
— Toi aussi, énonça-t-il difficilement, heureux.

Shazaa les dardait d’un œil hostile, suspicieux, mais il ne la vit pas. Oscar leva les yeux, balaya la jetée froide à la recherche de ses amis, et remarqua Elsa. Ils échangèrent un regard indescriptible, et l’adolescent frissonna.

À cet instant, une averse glaciale éclata. Souvenir de leur rencontre.

[…]

Les adolescents—plus Mélis—étaient rentrés au Centre Pokémon grâce au bus, dont le conducteur courageux avait bataillé avec la circulation et les intempéries. Ils avaient déposés les bagages d’Oscar et de Shazaa dans leur chambre commune à six places, et étaient redescendus à l’accueil pour se payer un café ou un chocolat chaud. La journée s’annonçait longue. Dehors, l’averse battait froidement le pavé, et depuis les portes vitrées du Centre se répandaient déjà, vagues par vagues, de l’eau de pluie et des égouts.

Élin, Syd, Elsa et Oscar virent l’Infirmière Joëlle de Port Yoneuve recruter deux jeunes dresseurs pour éponger et éclatèrent de rire, échangeant des regards nostalgiques et prenant pleinement la mesure du chemin qu’ils avaient parcouru.

— J’ai ruiné une belle paire de vans ce jour là, se lamenta Oscar, s’affalant dans un canapé.
— Tu gémissais et tu ne m’aidais pas du tout… lâcha Syd malgré son humeur, nostalgique—enfin, à sa manière.
— Pendant ce temps là je découvrais l’identité d’Elsa, raconta Élin, enjouée. Et qu’elle était amou—
— Chut Élin, tu n’as rien découvert du tout, grommela la brune.

De nouveau, elle échangea un regard empreint d’émotion avec Oscar, et ce geste ne passa pas inaperçu, enchantant Élin.
Cependant, si la blonde avait remarqué la tension entre les deux natifs de Volucité, ce n’était pas ce qui avait le plus frappé l’assemblée ces dernières heures.

Un peu plus loin, Mélis donnait quelques dernières instructions aux « deux nouveaux » avant de partir se coucher ; Leafer hochant gentiment de la tête et promettant de faire comme il disait ; Shazaa supportant très mal la présence d’un adulte. Les deux dresseurs n’écoutaient pas un traitre mot qui franchissait les lèvres roses du dresseur de légende, trop occupés à foudroyer soit Oscar, soit Élin du regard.

Dans leur esprit se préparait peu à peu une tempête…
« Ok, j’ai encore un nouveau rival. Encore un nouveau rival pour l’attention d’Élin… mais c’est bon, je vais le découper, le déchiqueter, et cacher tous les morceaux dans les cuisines du Centre Pokémon ! »
« Comme ça ce Ponchiot d’Oscar me fait voyager jusqu’à Port Yoneuve puis embrasse une autre dès l’arrivée ! Il va voir ce débile, comment j’vais lui refaire sa face, sa mère ne va plus le reconnaître ! Et l’autre là, la blondasse… j’vais faire un nœud avec ses tromp— »
Mieux vaut censurer la suite.

Dans tous les cas, Mélis finit sa lecture et se dirigea vers l’ascenseur, ne jetant pas un seul regard en arrière pour évaluer où en était le Facteur Hei. Shazaa et Leafer purent rejoindre le groupe, et on déplaça deux fauteuils pour qu’ils fassent partie du cercle. Leurs chaises étaient disposées sous un des nombreux panneaux en verre qui constituaient le toit du Centre, laissant filtrer la lueur grise et incertaine de la tempête— quelques éclairs illuminaient parfois leurs traits.

Une fois tout le monde installé, la discussion reprit… ce qui ne se fit pas sans tensions.

— T’es qui toi ? lança brusquement Shazaa à Élin.
La gamine arqua un sourcil.
— La meilleure dresseuse du groupe, rétorqua-t-elle sans rater un battement.
Instantanément, Shazaa et Syd réagirent.
— Tu crois m’intimider ?!
Élin ignora royalement les deux.

Pendant ce temps, Leafer avait abordé Oscar avec un sourire innocent.
— Alors, pourquoi au juste le groupe t’a-t-il abandonné à Volucité ?
— On ne l’a pas « abandonné », s’agaça tout de suite Elsa. Il n’avait pas le choix…
— Ah, pardon, je n’avais pas compris ça, nous en avons peu discuté… s’excusa Leafer.
— Quoi ? gémit Oscar. Vous n’avez pas du tout parlé de moi ?

Quelques minutes truffées de malentendus s’écoulèrent, et la situation aurait pu dégénérer, mais Élin sauta sur ses pieds et secoua sa tignasse trempée. Elle planta deux mains sur ses hanches et surveilla le groupe avec un sourire en coin.

— Bon ! J’en ai marre d’être assise ! déclara-t-elle avec force. Qui pour faire un combat Pokémon dans le hall du Centre ?

Oscar ricana en souvenir de leur premier jour, et Elsa, hésitante, donna un coup de coude à Syd dans l’espoir qu’il accepte. Peut-être qu’affronter sa rivale le sortirait-il de sa torpeur. Mais avant même que le dresseur puisse réagir, Leafer se dressa et récita nerveusement :

— Mélis nous a dit de vous rappeler les mots de la Professeure Lenoir : « chaque chose en son temps »…

Un silence plana.
Élin soupira, refroidie.
Mais Oscar vint à sa rescousse, se levant à son tour et se faufilant par-delà Shazaa.

— Reste debout, j’ai quelque chose à te donner, lui sourit-il.

Il lui attrapa doucement le poignet, et échangea un regard avec Syd, qui lui sourit brièvement. Leafer plissa les yeux, se demandant si on cherchait à faire mieux que le pendentif Mamambo qu’il avait offert à Élin. Mais il n’en su jamais rien, car Oscar entraîna la blonde loin du groupe, au tournant d’un des couloirs labyrinthiques du Centre.

À la lumière des néons blancs, Oscar dévoila une petite perle aux reflets irisés, qui pouvait s’accrocher à un collier ou à une ceinture. Élin l’accepta, intriguée, et la roula dans sa paume, observant que la perle était presque transparente et contenait un liquide d’un vert éclatant.

— Je voulais t’offrir quelque chose d’à la fois joli et utile. C’est une Lumiperle, un objet à la mode à Volucité en ce moment, expliqua Oscar—évitant de préciser que l’orbe était populaire dans les arènes illégales des égouts. À l’intérieur, il y a de l’essence de Lumiargile, mais au lieu de prolonger Protection et Mur Lumière, la perle te permet de les outrepasser.

Sous le regard ravi d’Élin, il sourit et perdit le fil de ses mots, se rappelant les circonstances de son achat.

— Shazaa était furieuse que je te prenne un cadeau… raconta-t-il sans réfléchir, avant de détourner les yeux, gêné.
— Pfft. On s’en fiche de Shazaa, souffla Élin, lui donnant un léger coup sur l’épaule, comme pour dire « c’que t’es bête ! ».

Mais au lieu de faire rire son ami, la remarque l’inquiéta. Il retraça le fil des événements depuis leur arrivée, cherchant un moment où Shazaa aurait pu leur déplaire, mais elle était restée globalement silencieuse… Aie. Il réalisa, bien trop en retard, que Shazaa était furieuse contre lui. Mais ça n’expliquait pas le jugement d’Élin.

— Ne dis pas ça, répondit-il calmement. Pendant que vous étiez dans le désert, ou avec Leafer à Méanville… j’ai vécu chez elle.
— Hein ? Qu’est-ce que tu veux dire, je croyais que t’étais avec tes parents ! s’étonna Élin, plissant les yeux avec suspicion.

Elle recula, serrant sa Lumiperle dans la main, et réalisa une nouvelle fois à quel point son ami avait changé. Il ne portait plus ses vêtements colorés de hippie, mais un jean délavé et un tee-shirt sans fioriture. Sans sa queue-de-cheval et son ruban, sans ses habits typiques, il ne ressemblait plus du tout au grand dadet qu’elle avait rencontré.

— Mais je ne pouvais pas rester avec eux tout le temps ! argua Oscar en réponse, vexé que son amie ne semble pas comprendre, qu’elle le considère avec distance. J’ai réglé leur problème et je—je n’en pouvais plus ok ?
— C’est bon ! rétorqua Élin. T’as rencontré Shazaa et tu l’aimais bien !
— Tu ne peux pas comprendre, répliqua Oscar, déçu.

Un néon grésilla et ils se turent, se jaugeant avec incertitude. C’était la première fois qu’ils se disputaient. Être face à face, séparés par le poison de leurs mots… une situation qui leur était complètement étrangère.

— Non, je ne comprends pas, lâcha Élin, froidement.

Oscar fit un pas faire elle, mais la gamine se détourna.
Il déglutit.

— Je ne voulais pas dire cela, énonça-t-il finalement, immobile, espérant peut-être qu’ainsi, le mauvais moment passe tout seul.
— Mais c’est ce que tu as dit, répondit Élin avec indifférence, son regard plaqué contre un point inintéressant du mur.
— Ne sois pas comme ça, la supplia-t-il. Pas comme…
— Quoi ? Comme une pourrie-gâtée ? Une riche capricieuse ? siffla finalement Élin, lui faisant à nouveau face, masquée de givre. Mais c’est comme ça que je suis, c’est le rôle que je joue—peut-être que tu l’as oublié en un mois.
— Je ne t’ai pas oubliée ! s’écria instantanément Oscar. Tu ne peux pas me reprocher ça ! Tu peux—
— Mais en fait, je ne sais même pas ce que je te reproche, le coupa Élin, impassible.

L’absurdité de leur dispute leur apparut alors dans toute son ampleur. Ils s’affrontaient, criaient pour… du vent, une remarqué déplacée, une suspicion de jalousie qui n’existait peut-être pas. Pour tous leurs regrets de ne pas s’être vus pendant un mois ; tout le temps qui s’était écoulé malgré leur séparation, insensible.

Ils ricanèrent alors, et Élin sembla se dégonfler d’un coup, exhalant et se vidant totalement de son air.

— Waouw je… bafouilla-t-elle, serrant compulsivement le cadeau d’Oscar. J’suis désolée, y a eu tellement de tensions dans le groupe ces derniers jours…
— C’est Leafer ? s’enquit immédiatement Oscar.
— Mais non ce n’est pas Leafer, rétorqua Élin sans même y réfléchir—puis elle y réfléchit tout de même et rigola rien qu’à imaginer le petit dresseur comme un trouble-fête.
— La dispute de Syd et Elsa, alors ? hasarda son ami.
— Non plus, leur affaire est réglée depuis Méanville, répondit-elle tranquillement.
— Et donc, qui est la cause des tensions ? insista Oscar. Je suis à peu près sûr que ce n’est pas Mélis, il a trop la flemme pour semer la zizanie, à ce qu’il paraît…

Le grand brun lui prit la main, et elle s’appuya contre le mur du Centre, essoufflée après leur dispute, mais luttant pour ne pas le laisser filtrer. Un néon grésilla, et il leur sembla entendre l’infirmière Joëlle crier au loin, à propos de tempête et de seaux.

Pendant un instant, Élin se sentit happée par les souvenirs, et elle se crut au milieu de la Trouée Cachée, emprisonnée—
Elle vit cet étranger à la toison verte, celui de ses rêves, de son enfance.
Ses yeux la piquèrent, une larme perlant, et elle se sentit faiblir—prête à avouer la vérité, à tout raconter à son meilleur ami.
Mais le souvenir reflua, et elle inspira une grande goulée d’air aseptisé, revenant brutalement à ses esprits. La vérité restant à jamais obstruée dans sa gorge.

— On est tous fatigués, et on avait hâte de te revoir, du coup on était tous trop impatients, mentit-elle avec en levant les yeux au plafond.
— Même Leafer ? rigola Oscar en réponse.
— À part Leafer, répondit-elle simplement, choisissant cette fois d’être honnête.

Leurs regards se croisèrent, et Oscar retira sa main, satisfait de voir qu’Élin allait mieux.

— Tu sais, au début du voyage j’étais en kiffe sur toi, déclara-t-il innocemment. Mais maintenant… franchement, pas du tout.
La blonde lui fit une drôle de tête, partagée entre le rire et l’offense.
— Alors là, je ne vois pas quoi te répondre… grommela-t-elle avec un sourire, ressemblant de manière frappante à Syd. Tant mieux pour toi, peut-être ? Ou pour moi ?
— Dire qu’avant tu te serais indignée et tu m’aurais forcé à mes pieds pour m’excuser… minauda Oscar.
— Hey, fais gaffe, tu me donnes des idées, rétorqua Élin avec un rire.

Aussitôt le grand brun se mit à genoux, suppliant la blonde en un geste dramatique. Elle l’aida à se relever—puis l’envoya valser contre le mur opposé, tirant la langue et faisant semblant d’être offusquée. Pour se venger, il vint lui chatouiller les côtes, mais elle était remarquablement résistante et se faufila hors de sa portée.

— T’as changé, mais pas tant que ça ! s’exclama-t-elle avec un clin d’œil.
— Toi aussi t'as changé ! répliqua-t-il avec bonne humeur. En fait on est devenus matuuures !
— Oh oui ça doit être ça, on est passé au niveau supérieur, on a évolué en Adultes !

Après quelques blagues, ils s’enlacèrent de nouveau, soulagés et réconfortés par la présence de l’autre. Ils ne connurent pas les conséquences du câlin.

En effet, Oscar avait fait ce geste en toute innocence, car la blonde était son amie, comme il venait de lui annoncer. Mais, à l’entrée du couloir, à demi-éclairée par les éclairs de l’ouragan, Shazaa avait lu l’attitude du brun comme tout autre chose.

Furieuse, la jeune femme laissa échapper un juron, qui fut englouti par un grondement de tonnerre. Elle serra les poings et s’éloigna, sa longue toison noire volant. Oscar ! Ce petit paumé débile ! Il l’avait convaincue de voyager, de le suivre, tout ça pour l’oublier auprès d’étrangers aussitôt arrivé—et reprendre sa relation avec une autre fille, qui plus est une blondasse ! Elle était à la fois livide et—hébétée, de constater qu’elle avait fait une énorme erreur, qu’elle, la débrouillarde, la sauvage, la magnifique combattante, s’était faite menée en bateau par un grand naïf de treize ans… Littéralement menée en bateau.

Perdue dans le Centre étrange d’une ville étrangère, la dresseuse scanna ses alentours roses et crèmes. Un nouvel éclair zébra le ciel au moment où elle décelait une cachette temporaire, un havre où reprendre ses esprits : une cabine téléphonique. Méfiante, crachant sur tout ce qui se mettait en travers de son chemin, elle se hâta vers l’abri en verre et le referma brutalement, faisant semblant d’appeler quelqu’un.

Ce chien d’sa mère… ce débile… Elle n’était pas amoureuse de lui, oh ça non ! Rien qu’à cette pensée, un ricanement noir, méprisant, lui échappait. Shazaa était bien trop belle et classe pour Oscar. Mais il était… sa possession. Son petit Ponchiot récupéré dans la rue, son jouet depuis un mois—il n’avait pas le droit de lui échapper !

Un grand sentiment de vide la saisit quand elle se rendit compte qu’elle n’avait personne à appeler. Toutes ses amies travaillaient la nuit, et devaient dormir à présent. Son père était un raté et il la détestait. Sa mère… l’avait envoyé à Unys alors qu’elle n’avait que neuf ans… Elle aussi, une vraie lâcheuse. Cette chienne ne voudrait jamais parler à sa fille si cette dernière n’était pas une bonne croyante, si elle ne suivait pas quotidiennement les préceptes de Cresselia. Personne… ne répondrait à l’autre bout du fil.

Si Shazaa était restée à Volucité… elle serait aussi en train de dormir, il lui resterait exactement deux heures de sommeil. Ensuite elle fumerait une clope, se changerait en tenue convenable, s'en irait au bar. Ce job de serveuse n’était que temporaire. Il y a un an, elle avait pensé le quitter en six mois. Voilà pourquoi elle n’avait eu aucun regret d'arrêter pour…

Peut-être que grâce Oscar, elle avait tout simplement eu de l'espoir. Elle avait cru, pour la première fois depuis des années, que sa vie s’améliorait.
Elle aurait mieux fait de rester à Volucité.

[…]

Leafer se demandait bien pourquoi la discussion entre Élin et Oscar s’éternisait. Cela faisait bien une demi-heure, et il commençait à s’inquiéter. Et si leur quatrième ami, absent depuis un mois, lui faisait une déclaration d’amour ? Après tout, il était grand, avait de beaux yeux verts et son nez était très gracieux… Tout le contraire de Leafer.

Au bout d’un long moment, le dresseur quitta Syd et Elsa, interrompant sa discussion avec la dernière sous le prétexte d’aller se payer un nouveau chocolat chaud. Personne ne fut dupe, mais Elsa trouvait les artifices du petit brun très amusantes et Syd s’en fichait. Il s’était renfermé une fois Oscar parti, et ne sortait pas de son mutisme.

Leafer s’approcha le plus discrètement possible du couloir où il avait vu la blonde et son ami pénétrer… et entra droit en collision avec la poitrine de ce dernier.

— Waouw ! s’étonna le dresseur de Volucité, aidant sa victime à se redresser. Tu fais quoi, un mètre cinquante, cinquante-cinq non ?
Leafer resta coi tandis qu’Oscar se frottait la poitrine, grimaçant comme s’il avait été meurtri.
— Ton nez m’est rentré entre les deux pectoraux… expliqua-t-il innocemment.

Le propriétaire dudit nez vit rouge et manqua de s’étouffer sous la honte et l’indignation. Il toisa son adversaire du moment avec défi, relevant le menton pour plonger ses iris sombres dans les prunelles chatoyantes de l’autre.

— Donc c’est toi le… meilleur ami d’Élin, souffla-t-il froidement.
— C’est ça, confirma Oscar, haussant les épaules.

Il sourit avec bonhommie pendant un instant... avant de se rendre compte que le nouveau ne répondait pas du tout à sa mine éclairée, de constater qu'il avait même un air de petit malin, et de froncer les sourcils :

— Donc c’est toi, le nouvel ami d’Élin ?
— C’est ça, s’enorgueillit Leafer.

Quelques minutes et de nombreuses péripéties plus tard, Oscar s’avachit à côté de Syd sur les canapés. Elsa avait disparu—il n’y avait personne autour d’eux, sous leur puits de lumière grise. Les deux garçons échangèrent un regard, puis braquèrent leurs yeux sur Élin, qui offrait un sourire éclatant à Leafer quelques mètres plus loin.

— Sale nabot, grinça Oscar. Il faut l’éliminer.
— Entendu, siffla Syd sans battre un cil. Signons une entente cordiale.

Le marché fut conclu de manière aussi officieuse que discrète, et les adolescents se séparèrent afin de ne pas éveiller la suspicion—Syd se rendant à leur chambre afin de nourrir les Pokémon, et Oscar allant charmer une aide-soignante à l’accueil.

L’ouragan empirait. Une pluie battante cinglait le toit du Centre, et le clapotement sourd envahissait toute le Centre Pokémon, dévorait les voix des humains et des Pokémon. On ne pouvait entendre que des parcelles de conversations, des éclats d’inquiétudes semés déci-delà par la tempête. Parfois, le temps d’un éclair—accompagné du « IIIH » effrayé de Leafer—on distinguait le Centre dans son entièreté, jusque dans les recoins obscurs où dormaient à même le sol des voyageurs épuisés, trempés. Le reste du temps, seuls les quelques néons de l’accueil éclairaient le hall, halots de lumière dans la vaste obscurité de la salle.

Soudain il y eut une coupure de courant et Leafer paniqua, terrifié par l’orage. L’intégralité de l’immeuble se retrouva plongeant dans un noir étouffant, léché de gris plus près des portes. Puis le générateur de secours s’anima et les néons blancs s’allumèrent à nouveau.
Un des écrans géants, que l’on avait éteint au début de l’ouragan, tressauta.

« Et nous revenons encore et toujours à notre envoyé spécial David Pyjama, sur place à la Ligue d’Illumis ! »

Le ton professionnellement enthousiaste de Clara Chazal leur parvint, son image grésillant en fin de phrase. Elle poursuivit, joyeuse et policée comme seuls savent le faire les journalistes de plateau.

« David, quels sont les résultats de ce dernier jour de combat ? Nous rappelons que la finale oppose Black Hei à Dianthéa, Maîtresse de Kalos et invaincue depuis le triomphe de Serena Ix il y a quatre ans ! Black Hei, qui s’est illustré dans la Ligue d’Unys mais a perdu en demi-finale contre White Bai il y a huit ans, parviendra-t-il à décrocher le titre ultime cette fois, dans une autre région ? ».

Sans que Leafer ne comprenne pourquoi, Élin pâlit. La gamine, qui blaguait avec lui la seconde d’avant, cessa de parler et fixa l’écran avec de grands yeux interdits. Elle trembla imperceptiblement, et ne répondit pas quand il s’enquit de son état, confus.

« Eh bien Claire, il semblerait que Black Hei a toutes les chances de gagner ! ».

L’envoyé spécial répéta plusieurs fois le nom du concurrent, commentant le récapitulatif de ses matchs. Black Hei avait triomphé de Sannah Rose en quart de finale, Black Hei avait battu Kalem Igrèk en demi-finale… Et Leafer tilta, se sentant idiot. Black Hei : le père d’Élineera, évidemment ! Son amie devait être tout simplement stressée pour son père.

« Eh bien David, la compétition est rude ! Nous ne pouvons que souhaiter que la ou le meilleur ga— »

Brusquement l’infirmière Joëlle éteignit l’écran. Un court silence régna, puis le Centre éclata d’exclamations agacées, une grande partie des dresseurs souhaitant en entendre plus. Certains criaient également leurs encouragements, et Leafer les rejoignit, heureux de participer même si le père d’Élin ne pouvait le percevoir depuis Kalos. Cependant la gamine, blême, posa une main sur son épaule et bafouilla :

— Tu… tu peux arrêter s’il-te-plaît ?

Leafer se tut immédiatement. Il la sonda du regard, à nouveau perdu, ne comprenant pas la réaction de son amie.

— Qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiéta-t-il. Tu n’es pas heureuse pour ton père ? Ou tu es nerveuse à l’idée qu’il perde, c’est ça ?
— Non, je… répondit Élin, fermant ses yeux et plaquant deux mains à ses oreilles, dépassée par le bruit de la foule.

Leafer la dévisagea, surpris.

— J’ai mal au crâne, je vais aller me passer de l’eau sur le visage, ajouta-t-elle précipitamment. Merci.

Elle lui darda une dernière œillade désolée de ses grands iris noirs, lagons où se perdait ses pupilles dilatées. Puis elle tourna les talons, ne lui laissa pas le temps de réagir, et se rua vers les toilettes pour femme, le cœur battant.

Leafer se trouva seul au milieu des dresseurs.

Sonné, le petit brun se tâta une seconde pour savoir s’il avait dit, ou fait quelque chose qui aurait pu provoquer le malheur de son amie. Mais leur conversation avait été légère et complice jusqu’à ce que l’écran géant s’allume. Perdu, Leafer tritura le rubix cube à sa ceinture, et scruta la foule à la recherche d’Elsa, ou même Syd… Mais le coin canapé où s’était assis le groupe plus tôt était désert.

Perdu, se sentant comme toujours exclu, le dresseur erra quelque temps à travers la foule. S’il avait su… s’il avait su que le groupe d’amis qu’il souhaitait intégrer était aussi complexe et déroutant, il aurait réfléchi à deux fois… Car il se sentait de trop, un peu plus chaque jour, et regrettait les deux journées passées à Méanville.

Peut-être aurait-il dû tenter sa chance seul, se forger ses propres amis au grès des affrontements et des hasards ? Ainsi il aurait pu traiter d’égal à égal avec son groupe, sans percevoir en permanence un courant sous-jacent qu’il ne pouvait comprendre, n’ayant pas été là, « sur le Ferry ». Le pire, c’est qu’il avait connu les adolescents juste avant. Si seulement il avait pu, à l’époque, se joindre à eux… répondre présent au moment stratégique, aux côtés d’Élin qui avait dû être si courageuse face à la Team Plasma.

Un éclair le fit sursauter, et il percuta une masse chaude. Ladite masse jura, et il leva précipitamment la tête pour s’excuser avant de reconnaître la beauté envoûtante de Shazaa.
Mais si d’habitude, il aurait été trop intimidé pour aborder une jeune femme au port altier, sa colère et sa tristesse lui avait arraché toute anxiété.

— Ah, toi aussi ils t’ont laissée n’est-ce pas… devina-t-il sur un ton plat. Tu verras, une vraie bande de fous !
Cependant, la belle dresseuse le ramena brutalement à sa condition de petit brun timide, sifflant avec mépris :
— Je ne compte pas rester voir longtemps, nabot. Tu vois, mes potes de Volucité, ceux des arènes souterraines, sont beaucoup plus balèzes que ta bande de nazes.

Elle le quitta en claquant furieusement des talons, se dirigeant vers les toilettes des filles. Et Leafer ne sut dire s’il était content, pour une fois, d’avoir été rangé dans le groupe d’Élin, Syd et Elsa.

[…]

Il ne restait plus qu’un être en paix dans le groupe : Mélis. L’adulte, réfugié dans sa chambre, s’endormait au rythme de la pluie. Malgré la fenêtre entrebâillée pour laisser filtrer la fraîcheur rare de l’été, les éclairs, les tourments du ciel ne pouvaient le tirer de sa torpeur. Il était enroulé dans un cocon de draps fins, ronflant paisiblement dans son oreiller blanc. À ses côtés sommeillaient Pashmilla, Emolga et Feuilloutan. Eoko était enroulée autour des tringles de rideaux. Clamiral était sorti prendre l’eau sur les escaliers de secours, la structure métallique grinçant dès qu’il changeait de position.

L’inconscience amenait la paix ; paradoxalement, c’était grâce à son indolence que Mélis pouvait avancer.

Un faible bruit lui parvint, ce qui ne le dérangea aucunement. Il ne fit que resserrer sa prise sur son oreiller. Mais quand le tapement se répéta, Feuilloutan, le plus curieux de la bande, se déplaça vers la porte et l’entrebâilla. D’un œil rapide, il reconnut une des enfants du groupe, la brune qui écrivait souvent dans son carnet vert et dressait la Mateloutre. Se figurant qu’elle n’était pas un danger pour son maître, le singe la laissa pénétrer dans la salle ténébreuse.

Elsa analysa la pièce, et Mélis endormit. Elle s’éclaircit la gorge pour signaler sa présence, une fois, puis deux fois, et le dresseur finit par rouler vers le bord du lit et plisser les yeux pour la distinguer.

— Monsieur…

Mais Mélis la coupa d’un geste irrité, et répliqua, d’une voix étouffée par le sommeil :

— Ne m’appelle pas monsieur.

Elsa vacilla sous le ton froid de la réponse, scrutant leur gardien avec incertitude. Cela faisait des semaines qu’elle l’appelait ainsi, et il n’avait jamais protesté. Sûrement par flemme de corriger une habitude ancrée en l’élève studieuse—mais quand même, il ne s’était jamais agacé, impatienté. Qu’est-ce qui avait changé ?

— Vous êtes réveillé, reprit-elle doucement.
— De toute évidence, oui, reprit sarcastiquement le dresseur.

L’adulte se redressa—et une seconde le cœur d’Elsa bondit dans sa poitrine car elle crut qu’il était nu—mais Mélis portait un pyjama assez ridicule aux motifs de Nodulithes. Elle ne pouvait pas le savoir, mais c’était un cadeau d’Écho dont il n’avait pas pu se séparer.

— Pourquoi tu viens me voir ? soupira-t-il, se passant une main sur le visage et l’arrachant à sa contemplation.

Elle tourna son regard vers la fenêtre entrebâillée et rougit, cherchant le fil carmin de ses pensées, cherchant ses certitudes.

— Je… bafouilla-t-elle, n’osant pas aller droit au but. Quelque chose se prépare.

Elle qui avait toujours été logique et bien organisée ne parvenait pas à présenter correctement ses réflexions. Elle n’osa pas étayer son mauvais pressentiment… sa peur sourde de l’orage qui s’amassait au-dessus de Port Yoneuve.
Ses souvenirs amers de son investigation à Méanville.
Mélis ne semblait pas apprécier la nervosité de la brune, la surveillant avec irritation tordre et retordre ses doigts.

— Super, maintenant que tu as été aussi précise, je vais certainement pouvoir t’aider… grogna-t-il.

Elsa fut piquée au vif. Ses mains s’immobilisèrent et—elle siffla :

— C’est à propos de Syd !

Un long silence accueillit sa déclaration. Elle vit, déçue, Mélis tourner sa tête vers la vitre et soupirer. Un éclair déchira les cieux, chargeant la chambre d’une tension sourde, roulante de tonnerre. Le dresseur se leva, posa un regard d’acier sur ses maigres épaules.

— Je croyais que tu avais réglé ce problème.
— Et moi, je croyais qu’il n’y avait pas de problème, répondit-elle, aigre.

Elsa baissa la tête pour cacher sa colère, à peine refoulée. Elle sentait encore le regard déçu du dresseur, plaqué sur sa silhouette recroquevillée, une de ses mains toujours dans le sac de Syd. Elle touchait encore le téléphone mystérieux du neveu d’Aloé, sans marque ni bouton d’allumage. Mélis l’avait cassée, répétant en boucle, à chaque discussion, qu’il ne fallait pas accuser sans preuve—et Elsa avait cédé.

— Mais aujourd’hui, j’ai vu Syd, le téléphone à la main… fit-elle après un silence, la voix enrouée.
— Je ne veux rien entendre.

Elsa releva brutalement la tête, ses boucles noires volant, ses yeux pâles écarquillés. Quoi… ? Mais il ne refusait jamais de lui parler… ne la trouvait-il pas mature, et— et intelligente ?
La réplique cinglante l’atteint droit au cœur, se fichant dans la plaie suppurante qu’avait laissé l’affaire de Syd.
La brune se vit de nouveau au collège, rouge devant ses camarades qui ne la remarquait que pour se moquer de son bégaiement.

— C’est à croire que tu aimes bien douter de tes amis, poursuivit durement Mélis. Accuser quelqu’un sans preuve est inadmissible, tu comprends ?

Il s’approcha, mais elle fut incapable de lui dire que bien évidemment, elle comprenait—qu’elle se maudissait elle-même de son irrationalité, qu’elle haïssait ses suspicions tout aussi obscures qu'indélébiles. Les mots restèrent englués dans sa gorge, tant elle luttait contre rage et honte mêlées.

Déçu par cette fille qu’il avait cru femme, Mélis serra dents.

— Je t’ai déjà dit pourtant, que ma génération a éclaté en plein vol ! Nous nous sommes déchirés et toi tu reproduis les mêmes erreurs ! Je m’attendais à mieux de toi, Elsa. Tu es intelligente ! Tu pourrais faire cent fois mieux qu’accuser à tort et à travers par jalousie !
— Je— sursauta Elsa, indignée par le procès injuste qu’on lui faisait—
— Tu le sais très bien, la Team Plasma s’est éveillée, cracha Mélis. Elle prépare sa prochaine attaque en ce moment même—vous devez rester solidaires, surtout qu’elle vous a déjà remarqué !

Peut-être, au-delà de toute déception raisonnable, Mélis avait-il peur que cette génération aussi ne perde sa jeunesse à force de jouer aux héros. Mais Elsa ne le perçut pas ainsi. Dépassée par les cris de Mélis et le fracas de l’orage, la jeune fille forma deux poings tremblants et rugit, furieuse et désespérée : « Vous n’écoutez QUE QUAND ÇA VOUS ARRANGE ! ».

Mélis blêmit, elle tourna les talons et claqua la porte. Son corps tremblant, brûlant la suppliait de trouver un endroit où se reposer en secret, et elle quitta le couloir bondé du Centre pour se ruer vers le premier lieu sûr qui lui passa par la tête : les toilettes pour femmes qu’elle avait vu dans le hall.

Dehors, un grondement sourd secoua Port Yoneuve, et l’averse qui remontait les terres depuis l’océan atteint les pentes du Mont Foré.


(Devenir femmes)
Élin se roula de l’avant vers l’arrière, recroquevillée, sa colonne buttant contre le couvercle des toilettes. De nombreuses dresseuses aux chaussures boueuses étaient passées par la salle d’eau—le carrelage bleuté était trempé, sali…

Un frisson remonta le long de son échine, et elle entendit de nouveau les accents faux de Clara Chazal prononcer le nom de son père. Un nom public qu’elle n’avait jamais possédé en tant que fille, qui avait déjà été prononcé par des centaines et des milliers de journalistes avant même qu’Élin ne soit adoptée.

La gamine ricana—noire, désespérée—dépassée par ce qu’elle ressentait ou non pour son père, incapable de faire le tri dans ses sentiments.

Il allait revenir après deux mois. Revenir… Mais rien que l’idée de faire face à son père la terrifiait pour une raison qu’elle était incapable d’expliquer. Dès qu’elle voyait son visage, elle n’avait qu’une envie : fuir. Et pourtant elle l’aimait ! Mais elle était incapable de le voir, l’idée la—la paniquait !

Curieusement, comme s’il sentait sa peur, la Pokéball de Baggy vibra à sa ceinture. Et la blonde, rassurée, posa une main tendre sur l’objet, reprenant confiance, se relevant difficilement. Son Starter avait raison… à quoi bon se perdre dans ses émotions ? Il fallait avancer. Hésiter… ce n’était pas son genre, même si elle pouvait regretter ses actions une fois commises. Il fallait foncer… foncer même si un désespoir absurde la prenait à la gorge.

Ricanant avec incertitude, la dresseuse poussa la porte de sa cabine.

Mais elle se figea aussitôt la paroi ouverte, grimaçant avec déplaisir. À quelques pas des toilettes, Shazaa se remettait du khôl grâce au miroir, cernant ses iris dorés de noir.

— Oh, fit la jeune femme, aigre, après avoir remarqué la blonde. Super, la préado blonde… crasseuse en plus, tu t’es assise par terre dans la boue ou quoi ?

Touché. Élin grinça des dents, offusquée, et rétorqua :

— Oh super, la crâneuse hyper maquillée qu’Oscar a repêché dans les égouts de Volucité !
Pardon ? cracha la Rhodienne, faisant volteface. Tu critiques mon maquillage, mais au moins contrairement à ta gueule je peux l’enlever.

À cet instant, une Elsa harassée pénétra dans la salle d’eau. Elle remarqua les deux adolescentes, sentit la tension dans l’air, et conclut avec déception qu’elle n’avait plus aucune chance de se ressourcer.

— Ok, quel est le problème ? souffla-t-elle, blasée, se retenant d’ajouter « encore… ».

Il y eut une seconde de silence. Puis les deux adversaires se pointèrent mutuellement et crièrent « c’est ELLE ! ». Leur réaction puérile eut le don de mettre Elsa hors d’elle. Éreintée, cassée après la dispute de Mélis, la brune siffla :

— Parfait, confirmez le cliché des pestes qui se disputent, donnez raison à tous les stéréotypes sur les femmes !
— Mais c’est quoi votre délire— s’agaça Shazaa, son khôl serré dans un poing.
— Et tant que vous y êtes, poursuivit Elsa, haussant le ton. Roulez-vous dans la boue ! Regardez, là, c’est parfait, y en a plein par terre à cause de dresseuses aussi malpolies que vous qui n’essuient pas leurs pieds en sortant ! Si vous voulez je peux même vous filmer avec mon Vokit, vous voyez je suis vraiment généreuse !

Et elle sortit son appareil, l’enfilant à son poignet et le braquant sur les filles excédées.

— Je ne vois pas pourquoi tu m’engueules, lâcha Élin en réponse, sombre. C’est elle qui se maquille comme une pouffe des Apireines du Shopping.
— Cresselia toute puissante, souffla Shazaa. Vous vous prenez pour qui, avec votre supériorité morale à la gomme ? Madame Sainte-Nitouche et Madame Arceus-reviens-parmi-les-tiens ?
— À peine, rétorqua Elsa. On est juste les filles qui te rappellent que nos grand-mères ont mené un combat pour nos droits.

Bien qu’elle doutait qu’Élin ne réfléchisse aussi loin.

— Oh, cool ! s’exclama Shazaa, mielleuse, sarcastique. Merci pour l’info, non, que dis-je, la révélation ! Ce que tu ne savais pas Madame Je-sais-tout, parce que t’étais sans doute trop occupée à donner des leçons, c’est que je me suis battue pour mes droits depuis toute petite. Je me suis battue pour ma liberté, pour vivre ma vie comme je l’entends.
— Ah oui ? répliqua Elsa, fronçant les sourcils, s’avançant d’un pas qu’elle croyait implacable. Alors pourquoi tu te maquilles comme—
— Comme je le veux ?

Cette réponse acérée la scotcha. L’étourdissement dissout son train de pensées—et elle ne reprit pas ses esprits avant que Shazaa n’assène :

— Le féminisme, parce que j’imagine que c’est de ça que tu parles, ce n’est pas juste un club de riches blanches…
— Je le sais… énonça lentement Elsa, troublée…

Mais elle avait jugé l’apparence de Shazaa sans arrière pensée.
Un silence.

— Ok, c’est bon, ça me gave ! s’écria soudain Élin. Ce que je ne comprends pas, c’est comment tu fais pour te fourrer ce crayon dans l’œil, ça doit te faire mal…
— Pas du tout, il faut juste bien viser, maugréa l’amie d’Oscar en se retournant à son reflet. Tu comprendras quand tu seras plus grande.

Au vue de la tête dégoûtée d’Élin, sûrement pas. Elle recula d’un pas rien qu’à l’idée, détourna le regard—et croisa les grands yeux noirs de son reflet, remarquant son teint blafard sous les néons des toilettes.

— Hey, Elsa, rapproche-toi… fit-elle innocemment, saisie d’une idée.

Perplexe, son amie obéit—et elles se retrouvèrent toutes les trois côte à côte, contemplant leurs doubles fantomatiques.

Shazaa… Aux deux plus jeunes, Shazaa semblait incarner la féminité. Elle était grande sans dépasser la plupart des hommes, élancée, son short noir dévoilant des jambes galbées—et épilées, ce qu’Elsa et Élin n’avaient pas encore essayé. La native de Volucité possédait une belle poitrine, une taille marquée et des hanches très rondes, où le regard pouvait se perdre. Sa tignasse sauvage ne faisait qu’accentuer son côté félin, vif et farouche.

À côté, Elsa, ses cernes répondant à la frange emmêlée barrant son front, faisant bien pâle figure. Elle était de loin la plus grande du groupe, atteignait presque le mètre soixante-quinze. Maigre, sa jupe n’accentuait que très peu ses hanches droites, et le tee-shirt encore humide qui collait à ses reins soulignait un tour de taille épais… une poitrine qui s’arrondissait à peine. La brune ne possédait pas les courbes envoûtantes d’une femme, tout juste gardait-elle un atout, ses grands yeux bleus.

Au milieu, Élin semblait encore une gamine, malgré ses formes déjà adultes. Elle portait des habits larges, de garçon, pour dissimuler les seins et les fesses dont elle n’avait que faire. Ses épis blonds, qui ne dépassaient pas sa mâchoire au début du voyage, tombaient à présent jusqu’à ses omoplates sans pour autant affiner ses joues rondes et ses épaules carrées, développées par toutes ses acrobaties. Les épis s'étaient curieusement beaucoup éclaircis au cours du voyage, passant d'un blond sale à des reflets dorés...

Sous le regard des deux autres, la blonde rougit et serra les dents—marmonnant une menace peu convaincante pour qu’elles arrêtent de la scruter. Elsa rigola, Shazaa haussa les épaules. La tension se dissipa, les deux dresseuses se demandant soudain ce qu’elles faisaient à se scruter, en compagnie de la nouvelle…

Mais les fantômes des filles qu’elles étaient au début du voyage ne cessaient de les hanter, calqués sur leurs reflets du jour en couleurs fades.
Elles frissonnèrent, saisies de mélancolie.

Et dehors, une nouvelle vague de nuages roulait contre la précédente.


(Trop tard.)
Syd regardait Riyah dans le blanc des yeux, mal à l’aise. La chatte mangeait, mais gardait ses yeux fixés sur son nouveau dresseur avec méfiance, ne relâchant pas une seconde son corps tendu. Riyah. Quelle idée.

Une terreur sourde s’empara de lui et il s’élança vers la fenêtre, agrippa son bord jusqu’à s’en blanchir les phalanges, le visage contre la tempête. Anto l’avait prévenu qu’une fois à Port Yoneuve, il devrait se diriger vers le Mont Foré— mais où ?

Il lui avait aussi dit d’attendre le signal…
Et Oscar était revenu, le groupe de départ était enfin au complet…
Une constatation amère s’imposa à lui, au goût de la bile et des larmes. Ce jour heureux pour Élin, Elsa et Oscar… était le pire de sa vie.

Le garçon de treize ans se laissa choir, glacé, sur la moquette humide de la chambre. Des rafales de pluie s’écrasaient sur le rebord de la vitre, rebondissaient jusqu’à lui, lui arrachant grelotter. Mais il resta longtemps prostré, les yeux écarquillés, ne réagissant pas même quand Riolu se frotta à lui, jappant piteusement.

Il ne s’anima qu’après un temps indéterminable, quand son téléphone vibra.

Lentement, engourdi, il se saisit de l’engin et fixa l’écran, qui révélait une location GPS et un traqueur GPS. Il se leva, rappela Riolu qui le contemplait avec de grands yeux inquiets, et Riyah qui s’était endormie—d’un œil seulement—sur le lit d’Élin. Il semblait à Syd que sa terreur avait atteint un point de non-retour, avait enflé au point qu’elle s’était écroulée, auto-annihilée.

Il ne sentait plus qu’un grand vide.

Mécaniquement, l’adolescent s’assit au petit bureau de la pièce et se saisit d’un stylo. Il fixa un instant la feuille blanche qui attendait sur le bois sombre, sans savoir quoi exprimer, mais écrivit finalement : À Élin, Elsa et Oscar….

[…]

Élin, dans le hall, vacilla sous un mauvais pressentiment. Sans réfléchir, elle se rua vers leur chambre avec une seule pensée en tête : Syd.

[…]

Elsa capta le mouvement précipité d’Élin. Elle vit Leafer à travers la foule mais ignora le petit brun à l’expression perdu.

Combien de temps ? Combien de temps avait-elle attendu pour annoncer à ses amis, juste eux quatre, qu’elle désirait arrêter le dressage professionnel ? Aujourd’hui, ils étaient enfin réunis : l’occasion était parfaite. Malgré ses soupçons, nébuleuse obscur… malgré le mois qui s’était écoulé. Elle désirait partager sa révélation avec ses amis.

Saisie d’un sentiment d’urgence, elle se précipita à la suite d’Élin, s’engouffrant dans un couloir désert. La brune s’enfonça d’un pas décidé, ne prêtant pas attention à ses environs, trop préoccupée.

Elle manqua de crier quand une main saisi son bras et le tira, stoppant brutalement sa course.

— Elsa.

L’élève suspendit sa main juste à l’endroit de ses Pokéball, et reconnu la voix douce d’Oscar. Mais elle ne pouvait combattre sa peur et elle recula dès qu’il la relâcha, titubant contre le mur opposé sous les yeux désolés de son ami.

— Attends ! s’écria-t-il, sa voix si forte sur la première syllabe, s’éteignant sur la dernière.

Elsa déglutit.

— Oscar… tenta-t-elle faiblement, sous son regard brûlant. Je cherche Syd…

Il se détourna. Refroidi.
— Ah.
— J’ai quelque chose à vous annoncer ! se précipita-t-elle, cœur palpitant. Ses sourcils se froncèrent, comme s’il peinait à la comprendre.
— À nous annoncer ?
— Oui, à nous quatre, ceux du début, bafouilla-elle. J’ai voulu attendre que tu reviennes pour vous annoncer une décision importante—

Il s’était approché pendant qu’elle parlait, son regard fixé en un point vague du couloir. La scrutant avec deux yeux un peu fous.

— Tu m’as manqué, souffla-t-il.
Il lui faisait peur.
— Tu avais Shazaa.
— Et vous Leafer.
— Leafer…

Elle ne voyait pas ce que le petit venait faire là-dedans, sa figure paraissant bien pâle, son nom absurde, juxtaposé à Oscar.

— Peu importe qui je rencontrais—Shazaa ou une autre—et peu importe combien vous me manquiez tous, énonça le dresseur, ses mots portés par un courant obscur, intense, qui la dépassait et lui donnait le tournis—
— Ah oui, pas d’étincelles, pas d’alchimie… blagua-t-elle faiblement. D’une voix étranglée.
— Ce n’est pas avec elle qu’il y a une alchimie ! s’énerva Oscar.

Elsa recula encore face à son avance, inéluctable. Mais son dos heurta le mur.
Silence.
Absurdement, l’unique détail qui parvenait encore à l’atteindre, à travers la torpeur, était qu’ils faisaient la même taille.

— Moi aussi, dit Oscar, moi aussi j’ai quelque chose à t’annoncer.

Mais—Mais la dispute avec Mélis lui revint comme un orage fracassant, sa honte et sa peur, fureur, l’appréhension qui la dévorait dès qu’elle pensait à Syd. Et ce déluge d’émotions la dépassait complètement, détruisant toute raison et tout espoir.

Muettement, elle se soustrait au regard enflammé d’Oscar et se rua vers leur chambre commune.


(My World)
Élin s’avança avec appréhension, ses pieds faisant à peine de bruit sur la moquette grise. Elle ouvrit la porte, ses doigts effleurant, puis se tordant sur la poignée, une grimace inquiète creusant ses traits. La pénombre de leur chambre l’engloutit, à peine cassée par les éclats de l’orage.

Courbé sur le bureau, mains sur les tempes, attendait Syd, le regard vide.

Elle l’observa, son ami. Son bel ami aux traits durs et brisés, prunelles d’ambres écarquillés et épaules tendues, tout son corps crispé, et son esprit ailleurs. Elle s’avança, fébrile, pour poser une main sur son épaule, ses doigts se courbant sur le haut de sa clavicule. Ne sachant que faire, ayant l’impression de glisser au bord d’un abysse effrayant. L’abysse de Syd.

Il bondit. Et cria sous ses prunelles effarées, reculant en titubant, trempé de sueur, avec ses yeux qui ne la voyaient pas.

— SYD !

Il cria en réponse, il n’avait jamais crié auparavant, qu’est-ce qu’il se passait, qu’est-ce qu’il faisait—
Élin s’approcha du bureau et remarqua, papier blanc sur bois noir, la lettre qu’il leur avait écrite. Elle lu les premiers mots, leurs prénoms joliment écrits en attaché, et lu le début de la note où Syd avait marqué « J’ai travaillé avec la Team Plasma. Je travaille avec eux depuis le Ferry… ».

Et soudain, sa fébrilité, sa peur, s’anéantit. Alors que Syd la pointait et balbutia quelque chose d’hideux, d’effrayé, Élin se saisit de la lettre et la déchira lentement.

— Tu as besoin de faire ça… hein ? sourit-elle calmement. Tu as toujours eu besoin de faire ça.

Syd s’agrippa au rebord de la fenêtre, vacilla, ses yeux fichés sur son rictus indéchiffrable. La tension, toutes ses émotions qu’ils avaient tues, pulsèrent un instant entre eux avant de mourir. Éteintes, car il était déjà trop tard, car il se redressa, ses iris ambrés reprenant de l’assurance—et affirma, comme s’il venait de retrouver une vérité en son cœur :

— C’est pour Otis.
Mais Élin n’y croyait pas une seule seconde.
— Menteur, rit-elle légèrement, serrant convulsivement les restes de la lettre. C’est pour toi que tu le fais. Car tu es, toi

Et son sourire s’élargit, magnifique, aimant, et contenant déjà le pardon de tous :

— Tu es la plus belle personne du monde.
— Tu—Tu délires complètement ! Arrête ! Tu—

Elle le fit taire d’un geste vif, s’approcha, plissa les yeux.

— Oh allez ! Ce n’est pas ta mère, ou ton père, ou ta super tante la Championne d’Arène qui se sacrifient pour Otis ! Arrête de te mentir Syd ! Arrête de fuir !
Fuir ? Il allait se jeter droit dans la gueule de l’Hydre !
— Tu es une belle personne, répéta-t-elle, sûre d’elle comme elle l’avait jamais été. Sinon je me suis trompée… et je ne me trompe pas.

Puis elle ferma les yeux, et enfin des larmes coulèrent, son timbre vibra douloureusement tandis qu’elle secouait de la tête, mèches volantes.

— Tu ne m’as jamais dit ce que tu ressens ! Juste une fois, à Méanville, et encore c’était à demi-mots, s’étrangla-t-elle, ricanant. Alors… alors je ne m’attends pas à ce que tu me fasses confiance, maintenant…

Si elle savait combien elle se trompait. Si elle savait combien il était prêt à se confier, à tout lui dire, la laisser porter le poids de sa culpabilité, de sa responsabilité. Il était pitoyable, tandis qu’elle… était lumineuse.

— Mais je t’assure… cette fois au moins, laisse-moi t’aider… sourit-elle, la voix rauque. Laisse-moi couvrir ta fuite.

Des pas précipités résonnèrent alors dans le couloir. C’était Elsa, mais Syd ne le sut jamais. Car son monde tournoyait, sa vision se flouait sur les bords et il ne voyait que les yeux noirs d'Élin, ses grands iris aux secrets obscurs, son rictus tordu, sa mine pâle—mais surtout les deux lagons de nuit. Et leur oeillade déchirée, purulente d'émotions inavouables, le brisait sans qu'il ne comprenne pourquoi.
Elle fut la première à détourner les yeux, revenant sur terre, une main se portant à sa ceinture.
Il hocha la tête, tremblant, et sauta par la fenêtre, ripant sur le métal trempé de l’escalier de secours.


(Constellations)
Syd s’enfonça dans les boyaux du Mont Foré, le fracas de l’orage s’amenuisant à mesure que la lumière faiblissait. Il déglutit, et alluma son portable Plasma pour se repérer, le géo-localisateur luisant faiblement dans les ténèbres. Le froid, l’obscurité, étaient oppressants, et il peinait à respirer, les parois de sa gorge engluées.

Il arriva devant une immense porte en titane et oscilla un court instant. Un sanglot longtemps enfoui remonta le long de sa trachée, suivi d’un haut-le-cœur, et il se demanda pourquoi ?

Pourquoi était-il allé aussi loin ?

Mais, comme tous les efforts de ses amis au cours de cette longue journée, le questionnement fut vain. Car la caméra de sécurité avait déjà détecté ses mouvements, et une Sbire rousse poussait la lourde porte de métal, une grimace de satisfaction sauvage ornant ses traits.

— Comme on se retrouve, souffla-t-elle, survoltée. Depuis le Ferry… la Mélodie du Répit… tu te rappelles de moi, fils de pute ?

Syd n’eut pas le temps de répondre qu’elle lui enfonçait une aiguille dans la gorge.

[…]

— Où est Syd ? s’écria Elsa, rouge, scrutant la chambre abandonnée.

Elle ne vit pas les restants de la lettre, brûlés par Hope.
Elle ne vit pas Oscar chanceler derrière elle, essoufflé, s’appuyant sur l’encadrement de la porte.
Mais elle entendit Élin, blême, bafouiller :

— Je s-suis arrivée trop tard, E-Elsa, Oscar… il—Syd a été kidnappé par un Sbire Plasma !

[…]

Aloé Redding avala son café noir d’une traite, son regard électrique pensif. Elle laissa un index traîner sur sa copie de Pour une archéologie éthique, dessinant les reliures de l’épais volume.

Le téléphone sonna, une nuisance à cette heure tardive. Irritée, elle décrocha d’un geste brusque.

— Alo… é ? fit une voix sucrée.
L’ex-Championne soupira.
— Oui, merci, on m’a déjà fait cette blague cent fois.

Si seulement à elle avait su. Si seulement quelque chose avait pu la préparer à l’horreur. Mais la voix mielleuse poursuivit avec indifférence, dessinant les contours de son futur, d’une catastrophe.

— Nous détenons votre neveu Syd dans nos quartiers-généraux. Si j’étais vous, je serais plus agréable.

Silence.

— Transférez nous les données du Pokédex d’Iris sous vingt-quatre heures.

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Bon. Une « question pour un-e champion-ne » : Où est passée Maëlle à votre avis ?
Celle ou celui qui trouve aura droit soit à une question sur l’intrigue, soit à demander qu’un événement se produise (voulez-vous que de personnages se combattent ? s’embrassent ? avez-vous un gag en tête ?). Je pourrais répondre à votre question, ou inclure votre requête si vous devinez correctement où se trouve Maëlle ! Et éventuellement… dans quel état elle se trouve.

Et sinon… Oscar, Elsa. Élin et Syd. Leafer, Shazaa, Mélis… quel a été votre moment préféré de ce chapitre entre les personnages ?